Un paysage en patchwork : la diversité des sols en Mâconnais

Dans le Mâconnais, la vigne trouve refuge sur un terreau d’une rare diversité, sculpté par des millénaires d'histoire géologique. Ici, entre les monts de la Roche de Solutré, les douces vallées et les coteaux dévalant vers la Saône, le calcaire règne en maître. Pourtant, au détour d'une parcelle, affleurent des zones de schiste, plus discrètes mais néanmoins présentes — notamment autour de certains secteurs du sud et de la frange ouest du vignoble. Ce chatoiement minéral, encore trop méconnu, fait vibrer les vins d'éclats singuliers.

Pourquoi ce sujet intrigue autant ? Parce que la notion de "goût du terroir" est loin d’être une simple figure de style ! Les profils aromatiques, la trame en bouche, la puissance ou la fraîcheur d’un vin prennent racine jusque dans la profondeur du sol. Abordons, papilles à l’affût, les points qui distinguent les vins issus de schiste et ceux nés sur calcaire dans le Mâconnais : un jeu subtil de lumière, de texture… et d’émotion.

Retour sur l’origine : terres calcaires et schisteuses, qu’est-ce que cela change ?

Commençons par une rapide visite guidée, pour remettre en contexte ce que cachent calcaire et schiste.

  • Le calcaire : Roche sédimentaire blanche ou gris clair, fréquente dans toute la Bourgogne sud. Formé il y a plus de 150 millions d’années, il provient des fonds marins anciens, riche en fossiles de petites huîtres ou ammonites (voir l’étude INRAE sur les terroirs bourguignons, 2022). C’est ce sol qui façonne l’identité du Mâconnais, du « calcaire à gryphées » de Solutré à la craie plus fine des périmètres de Prissé ou Viré.
  • Le schiste : Roche métamorphique, sombre à reflets bleuâtres ou pourpres, compressée au fil du temps. Les schistes sont bien plus rares en Bourgogne, mais localement, autour de La Roche-Vineuse ou de certains versants, on repère ces veines, marquantes par leur friabilité et leur minéralité profonde. On en trouve notamment en lisière du Beaujolais.

Chaque type de sol a sa personnalité : capacité à retenir l’eau, chaleur emmagasinée, richesse minérale… autant d’éléments qui vont teinter la maturité du raisin, la structure du vin, ses arômes.

Le calcaire, source de fraîcheur et de finesse

Caractères gustatifs issus du calcaire

Vinifier sur calcaire, c’est donner naissance à des vins à la fois limpides et racés.

  • Fraîcheur : Les sols calcaires maintiennent une certaine fraîcheur, ce qui permet une maturation lente. Cela préserve la vivacité, l’acidité naturelle des raisins (constaté aussi en Chablis, ou la typicité calcaire est universellement reconnue — source : Benoît Droin, vigneron, conférence à Chablis, 2023).
  • Pureté aromatique : Le calcaire agit comme un filtre, donnant des vins cristallins, précis. On retrouve souvent des notes de fleurs blanches, de fruits à chair blanche (pomme, poire), parfois une touche anisée ou mentholée distincte.
  • Finesse et tension : En bouche, le toucher du vin calcaire est tendu, presque vertical. Les meilleurs Mâcon-Villages ou les Pouilly-Fuissé sur « crays » ont cette attaque vive, ces arêtes nettes, cette finale longue et salivante.
  • Salinité : Un autre marqueur récurrent : ce fameux « goût de pierre » qui rappelle la pluie sur la roche, la coquille d’huître. Cette sensation saline excite les papilles, invite à revenir au verre !

Le vigneron Gilles Striffling à Verzé résume souvent le vin calcaire par l’image du pinceau : « Un trait fin, mais qui laisse durablement la trace sur la langue ». Quand on laisse mûrir ces cuvées, les arômes gagnent en complexité sans jamais s’alourdir.

Le schiste, révélateur de caractère et de profondeur

Vins sur schiste : morceaux choisis

Si le calcaire donne la « carte postale » du Mâconnais, le schiste y glisse quelques parenthèses inattendues : des vins avec une assise plus terrienne, plus puissante.

  • Arômes plus chauds : Les vignobles sur schiste restituent mieux la chaleur. Cela se traduit par des notes miellées, de pêches mûres, parfois de fruits secs ou d’épices.
  • Empreinte minérale sombre : Là où le calcaire cisèle, le schiste offre de la profondeur. Les vins révèlent souvent une minéralité « graphite » ou « pierre à fusil », voire une légère pointe truffée ou fumée selon l’année (Source : Pierre-Emmanuel Cléret, géologue à l’Université de Bourgogne).
  • Volume et velouté : En bouche, les vins issus de schiste présentent plus de volume, un toucher presque glycériné, sans pour autant manquer de structure.
  • Longueur sapide : Leur persistance au palais est impressionnante, les saveurs s’étirant sur des notes de fruits jaunes compotés, de miel ou d’amande grillée.

Un exemple emblématique : le secteur de La Roche-Vineuse, à la frontière du calcaire, où les vignes sur schiste produisent des chardonnays à la fois densément charpentés et étonnamment exotiques.

Mâconnais : quelques chiffres et exemples concrets

D’après le BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne, 2023), 85 % des vignes du Mâconnais reposent sur substrat calcaire, 5 % environ sur schistes ou arènes granitiques, le reste sur argiles ou marnes mêlées. Le schiste représente donc une part confidentielle… mais ô combien précieuse !

Quelques références de domaines qui explorent ces nuances :

  • À Prissé, le Domaine Guerrin propose une cuvée « Roche » issue quasi exclusivement de calcaire, d’une énergie florale et citronnée exemplaire.
  • Sur les schistes des alentours de La Roche-Vineuse, le Château des Rontets élabore un Pouilly-Fuissé à la trame magnifiquement ample, où se lisent la prune jaune, l’aubépine et une note de silex.
  • À Milly-Lamartine, le Domaine Cordier Père & Fils assemble parfois des raisins de deux types de sols : résultat, un dialogue entre tension saline (calcaire) et rondeur veloutée (schiste).

Le rôle du climat et de la main du vigneron

Affirmer que le calcaire « fait toujours » des vins vifs et le schiste « toujours » des vins puissants serait séduisant… mais simplificateur ! D’autres facteurs s’entremêlent :

  • Le climat de l’année : en 2022, par exemple (année très solaire), les sols schisteux ont gardé une fraîcheur précieuse, en ralentissant le stress hydrique.
  • L’encépagement : le chardonnay domine en Mâconnais, mais quelques parcelles de gamay profitent aussi des différences de sol.
  • La vinification : élevage sur lies, fermentation spontanée, usage du fût ou non… chaque choix module l’expression du terroir (cf. Étude Bourgogne Aujourd’hui n° 167, 2024).
  • L’âge de la vigne : sur calcaire, les vieilles vignes accentuent la tension ; sur schiste, elles donnent plus de moelleux et d’arômes secondaires.

Certains vignerons, à l’image d’Olivier Merlin (Crêches-sur-Saône), aiment faire déguster côte à côte un vin de schiste et un de calcaire pour démontrer le "côté caméléon" du Chardonnay.

Comment reconnaître, à l’aveugle, une influence calcaire ou schisteuse ?

Voyons comment affûter son palais ! Pour repérer l’influence du sol lors d’une dégustation :

  1. Sur calcaire : Privilégier l’analyse de la tension acide, la précision aromatique, la sensation fraîche, voire légèrement saline. On parle parfois d’attaque « droite ».
  2. Sur schiste : Observez le volume en bouche, la matière, la densité. Les notes minérales sont plus sombres (graphite, pierre à fusil), souvent associées à une touche fumée ou miellée.

Un exercice courant chez les sommeliers locaux consiste à goûter un « Mâcon-Village » de Solutré (calcaire) puis un de La Roche-Vineuse (schiste), sans les voir, et de repérer le trait saillant de chaque. Passé l’effet de l’élevage ou de l’année, la “main du sol” ressort souvent en filigrane.

Tableau comparatif : vins du Mâconnais sur schiste ou calcaire

Critère Sol calcaire Sol schisteux
Aromatique Fleurs blanches, agrume, pierre humide Fruits jaunes mûrs, épices, silex, note miellée
Bouche Tendue, saline, droite, finale étirée Ample, veloutée, glycérinée, finale persistante
Acidité Soutenue, fraîcheur marquée Modérée, souplesse et moelleux
Minéralité Arête crayeuse, sensation d’huître Graphite, pierre à fusil, truffe

L’expérience du vignoble : une richesse à explorer

Le Mâconnais, c’est ce puzzle fascinant de terroirs qui fait toute la profondeur de ses vins. Nul besoin d’être œnologue pour percevoir, dans un verre, l’éclat cristallin du calcaire ou l’assise puissante d’un schiste bien travaillé. Le secret du terroir macônnais est là : dans l’art d’écouter le paysage et de traduire ses nuances en émotions.

Alors la prochaine fois que vous poussez la porte d’un caveau, osez demander à goûter “la même cuvée sur deux sols différents” : et laissez la Bourgogne vous raconter ses géologies en bouche, le temps d’une dégustation.

Sources :

  • BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne) - Rapport annuel 2023
  • INRAE - Caractérisation des terroirs viticoles en Bourgogne Sud, 2022
  • Bourgogne Aujourd’hui n° 167 - Dossier Mâconnais, avril 2024
  • Conférence « Terroirs, géologie & dégustation », Benoît Droin, Chablis, 2023
  • Université de Bourgogne - Pierre-Emmanuel Cléret, cycles de conférences 2022-2023

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