Cartographie sensorielle des sols du Mâconnais

Avant de parler taille, travail du sol ou vendanges, prenons le temps d’un survol géologique — comme une promenade au ras des mottes. Si le Mâconnais évoque immédiatement des blancs charmeurs, c’est bien parce que la terre ici dicte ce style, région après région.

  • Les calcaires du Jurassique : omniprésents à Igé, Verzé, Solutré-Pouilly, ils confèrent aux vins nervosité, fraîcheur et cette minéralité saline qu’on aime retrouver dans un Mâcon-Villages.
  • Les argiles et marnes : présentes à Milly-Lamartine ou Vinzelles, ces terres lourdes abritent des vignes qui donnent des vins plus charnus, parfois ample et puissants.
  • Les “grèzes litées” : entre Crêches-sur-Saône et Saint-Véran, ces mélanges caillouteux drainent bien l’eau et gardent la chaleur — essentiel pour la maturité du Chardonnay.
  • Les sables et limons : situés sur la plaine, ces sols légers sont moins recherchés mais ils remplissent une fonction essentielle en période de stress hydrique.

En 2021, une étude INRAE répertoriait pas moins de 17 types de sols différents sur la seule appellation Mâcon ! (source : BIVB).

Adapter le travail de la vigne : une affaire de racines… et de patience

Dans ce patchwork, chaque sol appelle des gestes précis. La préparation et l’entretien des sols sont au cœur du métier : la vigne évolue selon que la terre lui offre confort ou résistance. Plusieurs facteurs majeurs s’invitent :

  • Drainage et gestion de l’humidité : Les calcaires favorisent l’écoulement de l’eau, forçant la vigne à aller chercher ses ressources en profondeur : le vigneron limite alors les interventions mécaniques profondes qui risqueraient de rompre ce fragile équilibre. À l’inverse, sur argiles lourdes, il faut “ouvrir” le sol (buttage, décompactage léger) pour éviter la stagnation de l’eau.
  • Travail du sol : Sur les pentes caillouteuses du Sud, le labour se fait léger — parfois remplacé par l’enherbement pour éviter l’érosion. Sur les terres plus grasses du Nord, on privilégie les passages réduits pour ne pas tasser.
  • Choix du porte-greffe : Adapter le système racinaire au terroir : sur calcaires très filtrants, on choisit des porte-greffes capables de descendre profondément ; sur argiles, on doit opter pour des racines qui résistent à l’asphyxie.

Un chiffre souligne l’impact des pratiques : selon le BIVB, en 2019, près de 78% des exploitations du Mâconnais avaient déjà adapté leur itinéraire cultural selon la typologie de leur sol, contre 65% dix ans plus tôt.

Choix variétaux et densité de plantation : le sol comme chef d’orchestre

Ce sont souvent les racines qui prennent la parole en premier, mais elles dictent bien d’autres choix :

  • Densité de plantation : Sur sols riches, on choisit généralement une densité supérieure (jusqu’à 10 000 pieds/ha chez certains vignerons à Verzé !) pour favoriser la concurrence entre les ceps et limiter la production. À l’opposé, sur des sols pauvres ou caillouteux, la densité peut être plus faible.
  • Choix du cépage : S’il est tentant de penser que le Chardonnay est roi en Mâconnais (il occupe environ 80% de l’encépagement selon le BIVB), on oublie que la sélection massale joue aussi son rôle : les clones plantés sur les sols argileux, par exemple, sont souvent différents de ceux sélectionnés pour les terrains caillouteux.
  • Gestion de la vigueur : Les sols profonds donnent beaucoup de force à la vigne — il faut adapter la taille, voire effeuiller davantage pour contrôler la production. Sur sol maigre, au contraire, il s’agit d’accompagner la plante en limitant le stress (moins d’effeuillage, tissage plus souple des rameaux).

L'anecdote du géologue perdu (ou presque !)

Lors d’une visite à Pierreclos, alors que le vigneron parcourait la parcelle dite “Les Cras”, le géologue venu de Dijon a relevé 6 transitions de sols rien que sur 300 mètres ! De là, une variation perceptible dans le fruit, du zeste citron à la poire mûre, à peine le rang franchi.

Gestion de la fertilisation et couverture végétale : des sols vivants qui imposent leur régime

Le Mâconnais a été l’un des pionniers en adoption de l’enherbement maîtrisé, notamment sur les zones pentues (Pouilly-Fuissé, Viré-Clessé). Là où le sol se montre pauvre, chaque brin d’herbe doit être pensé : un excès prive la vigne, pas assez favorise l’érosion. On recourt désormais à un savant mélange :

  • Semis de fétuque, trèfle, vesce ou moutarde selon la structure du sol
  • Enherbement alterné (un rang sur deux), pour limiter la concurrence hydrique en été
  • Paillage organique sur les sols trop filtrants pour retenir l’humidité

Concernant la fertilisation, à l’heure des préoccupations environnementales, la tendance est à la parcimonie. Sur les marnes de Montbellet, on privilégie les apports de compost léger, tandis que sur les calcaires actifs, on veille à corriger le pH avant toute intervention. Les analyses de sol sont désormais fréquentes : selon la Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, 82% des exploitations réalisent un bilan de fertilité au moins tous les 3 ans.

Protection de la vigne : lutter contre les excès du climat selon la nature du sol

Dans un contexte de changement climatique, la nature du sol joue un rôle clé pour amortir ou exacerber les épisodes extrêmes. Quelques exemples illustrent bien cette adaptation :

  • Sur les « cras » calcaire très blancs, la température peut grimper de 2 à 4°C de plus que sur argile après une journée d’été (source : étude Agreste 2020). Les vignerons doivent avancer les dates de vendanges ou protéger les rangs par un effeuillage partiel.
  • Sur argiles lourdes, attention aux maladies fongiques après les épisodes humides : l’aération des grappes et le choix du palissage deviennent cruciaux.
  • Dans les vallons où la brume s’installe (ex : Mâcon-Bussières), la gestion du couvert végétal limite la prolifération de l’oïdium.

La diversité des microclimats renforce cette logique d’adaptation permanente. Un chiffre pour saisir l’enjeu : en 2022, selon l’IFV, les pertes varièrent de 20% à plus de 60% selon la nature du sol et son drainage lors des gelées tardives du printemps.

Avis et témoignages de vignerons : l’école du terrain

Impossible de parler d’adaptation sans donner la parole à celles et ceux qui la vivent depuis des générations. Quelques voix du cru :

  • Jean-Noël Gagnard (Azé) : “Sur calcaire pur, on n’a pas droit à l’erreur. Un millimètre de pluie en moins, et la vigne tire la langue. On a raccourci la taille et on laisse plus de feuilles après-juin.”
  • Laure Gauthier (Vergisson) : “L’arrivée du bio nous a poussés à repenser nos sols. On observe le moindre brin d’herbe. Les sols ferrugineux rendent la vigne très expressive, mais attention à la vigueur, il faut contenir, sinon le vin devient désordonné.”
  • Etienne Canal (Clessé) : “L’argile change tout. C’est elle qui fait durer la fraîcheur du vin, donne un grain. Mais si on bourrine le sol, il se referme, alors on intervient plus tôt au printemps, parfois à la main.”

Les anciens rappellent qu’il y a cinquante ans, on n’aurait jamais planté sur tel ou tel secteur ; aujourd’hui, le réchauffement permet de revaloriser des terroirs autrefois boudés… tout en posant de nouveaux défis !

Rôle de la recherche et des initiatives collectives

L’évolution des pratiques viticoles dans le Mâconnais ne cesse de s’accélérer. L’Association Technique Viticole de la Bourgogne du Sud pilote régulièrement des expérimentations “par sol” : essais sur des pratiques de non-labour, couverts végétaux multi-espèces, ou encore essais de micro-irrigation sur les calcaires durs (tous les résultats sont publics, ATVBS).

En 2023, sous l’impulsion du BIVB, un projet de cartographie fine des terroirs de Viré-Clessé a été mené, intégrant imagerie thermique et sondes tensiométriques. Objectif : adapter l’irrigation ou les dates de rognage selon la réserve utile du sol. Les premiers résultats montrent une réduction de 15% de la consommation d’eau sur les parcelles pilotes.

Terroirs vivants, pratiques mouvantes

Il n’existe pas, dans le Mâconnais comme ailleurs, de recette unique pour cultiver la vigne. Chaque sommet, chaque talweg, chaque caillou appelle un geste différent, une patience renouvelée. La singularité des vins du Mâconnais n’est pas un hasard : elle est la fille de cette conversation quotidienne, attentive, entre le vigneron et sa terre. Raison de plus, sans doute, de se pencher sur son verre autrement… et d’aller, le temps d’une balade, saluer ces sols qui, depuis des millions d’années, dessinent le goût de chaque village, de chaque cuvée, de chaque année.

Sources : Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), INRAE, Agreste, IFV, Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Association Technique Viticole de la Bourgogne du Sud.

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